il Sodoma

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Lombard fixé à Sienne, Sodoma est un peintre décorateur de la première moitié du Cinquecento. Fresquiste à succès, il eut de nombreuses commandes laïques et religieuses et, si son nom résonne encore aujourd’hui, c’est parce que ses œuvres enchantent «la route des fresques», le long des crêtes siennoises; à Monte Oliveto Maggiore, il acheva l’hagiographie de saint Benoit; à sant’Anna, près de Pienza, il réalisa des scènes de la Vie de Marie; et à Sienne il est, bien sûr, omniprésent. Son nom est aussi associé à la villa Farnesina, où il décora la chambre du banquier Chigi, autour de la légende d’Alexandre le Grand (noces avec Roxane, hommage à la famille de Darius et dressage de Bucéphale).

De son vrai nom Giovanni-Antonio Bazzi, Sodoma a fréquenté les grands : Leonard (auquel il emprunte le sfumato et surtout le modelé des visages) et Raphaël (dont il imite la suavité et aux côtés duquel il figure dans l’École d’Athènes); mais c’est un suiveur plus qu’un novateur, qui ne s’est jamais vraiment affranchi de ces influences; un indécis, tiraillé entre un Classicisme un peu raide et le Maniérisme naissant : héritier de la perspective savante, on le sent attiré par le pathétique et les longues courbes de la «nuova maniera».

Il est donc souvent malaisé d’identifier ses œuvres; alors, à l’instar de Daniel Arasse, il convient d’apprendre à les regarder par le petit bout de la lorgnette, par les détails qui trahissent sa personnalité.

                                                                                                                        ***

Quelles sont les constantes qui font le charme de cette œuvre ?

  1. La sensibilité bucolique :

On est d’abord frappé par la rareté des scènes d’intérieur et séduit par la présence de beaux paysages, minutieusement représentés à l’arrière-plan des scènes hagiographiques ou historiques.

En artiste du Nord, Sodoma ouvre des fenêtres sur la nature (et l’on pense à Durër ou à van der Weyden); et il peint l’extérieur avec une précision telle que l’on retrouve le décor mythique de l’Italie, avec ses lacs, ses collines, ses villes et ses essences : platane au bord d’une rivière, au fond du Conciliabule entre les ermites et st Benoit; cyprès sur une colline, dominant la Source miraculeuse, ou sur une terrasse, surplombant le Sauvetage des eaux de Placide.

Tantôt champêtres, tantôt lacustres, tantôt urbaines, ces vedutte trahissent la sensibilité écologique du peintre, qui suggère la profondeur par un effet de brume et anime ses compositions par la présence d’animaux de toutes sortes; mais elles trahissent  aussi l’esprit provocateur de Sodoma qui attire l’œil des moines bénédictins urbi et orbi, alors qu’ils ont choisi de vivre chastement, en clôture!

***

        2.La sensibilité « gay » :

Même provocation et même dérision, avec son «coming out» avant l’heure! en effet, Giovanni-Antonio ne fait pas mystère de son orientation sexuelle :

-d’abord, nous dit Vasari, « comme il avait toujours autour de lui des jeunes gens sans barbe qu’il aimait outre mesure, on lui donna le surnom de Sodoma; et loin de s’en fâcher, il s’en glorifiait et composait sur ce sujet des couplets et des tercets qu’il chantait en s’accompagnant sur un luth. »

-Ensuite, on raconte qu’il montait chaque année un cheval éponyme au cours du Palio et se réjouissait d’entendre les ragazzi crier «Sodoma! Sodoma!» à travers la ville de Sienne.

-Enfin il trahit son goût pour les garçons :

par la représentation d’androgynes (ainsi l’Évangélisation des paysans ne semble avoir été peinte que pour faire le portrait d’un beau berger, aux longs cheveux bouclés et à la cuisse aguicheuse! et certains tableaux de Benoit de Nurcie semblent n’avoir été faits que pour le plaisir de représenter un jeune homme plus angélique que saint : voyez-le à cheval à l’heure du Départ de la demeure familiale ou en tête-à-tête avec le peintre dans la scène du Plat recollé !)

Et que dire des tenues moulantes qui exaltent l’anatomie masculine (le paysans exhibant ses fesses est devenu une icône, au même titre que le soldat témoin de la Déposition du Christ); et par-delà le phénomène de mode, il est notable que tous ses jeunes gens sont revêtus de justaucorps suggestifs et de «mirifiques braguettes» (regardez notamment la scène où st Benoit accueille les deux jeunes Romains !)

Quand les corps sont dévêtus, Sodoma use de toute sa culture classique pour faire l’éloge de la virilité, dont il n’oublie jamais la ceinture d’Apollon! Alexandre, Vulcain ou st Sébastien ont tout pour plaire.

Et quand il ne représente pas les corps, Sodoma se complait à peindre des mines de voyou proches de l’arrogance : dans son Autoportrait, il s’est représenté en grand seigneur, avec cape, gants et épée, mais surtout avec un ironique sourire entendu qui en dit long sur son pouvoir de séduction; sourire que l’on retrouve sur les lèvres d’un moine, rusé ou complice, ayant surpris son frère en train de mettre la main sur le petit pain de son voisin de table !

Ajoutons que les assemblées masculines sont privilégiées : moines, paysans, soldats ou chanteurs abondent (Excommunication de religieuses) et que les femmes sont de préférence des religieuses, des saintes (Catherine de Sienne) ou des putains (les courtisanes au monastère) !

Bref, rien ne semble fait pour les chastes regards des Bénédictins ; et tout semble fait pour révéler l’excentricité de Sodoma, encore majorée par la présence d’animaux.

 ***

        3.La sensibilité zoophile :

  • Vasari rapporte, dans un inventaire à la Prévert, que Sodoma « se plaisait à nourrir dans sa maison toutes sortes d’animaux bizarres, tels que blaireaux, écureuils, singes, ânes nains, chevaux de l’île d’Elbe, geais, poules naines, tourterelles indiennes; tous apprivoisés, ainsi qu’un corbeau qui imitait à merveille la voix de son maître. » La variété des animaux domestiqués sert au Biographe à accentuer le snobisme et la bizarrerie du peintre, qui ne se contente pas de vivre avec une ménagerie, mais la reproduit dans son œuvre.
  • Reprenons donc ses fresques qui font la part belle à la vie animale; des espèces domestiques coexistent avec d’autres plus exotiques:
  • chiens mordillant la jupe d’une fillette, s’abreuvant dans le courant d’une source ou fréquentant le réfectoire des moines (Benoit quitte la demeure familiale, la source miraculeuse et la farine miraculeuse),
  • équidés portant le futur saint et sa nourrice ou chevaux combattants sous le poids des Barbares menaçant le mont Cassin (Benoit quitte la demeure familiale et le mont Cassin menacé),
  • chats s’affairant avec les restes d’un repas ou se faufilant dans un couloir (tentative d’empoisonnement de Benoit et Miracle du verre du verre cassé),
  • corbeaux, toujours au premier plan, s’emparant du pain empoisonné jeté par Benoit, (la tentative d’empoisonnement), ou aux pieds du peintre lui-même -telle la voix de son maître !
  • paon perché à l’arrière-plan ou cygne, au fond de la sc. du Plat recollé,
  • enfin, sur le même plan que le corbeau, deux surprenants blaireaux aux pieds de l’Autoportrait, comme s’il s’agissait de l’emblème du peintre (de leurs poils ne fait-on des pinceaux ?) À moins, qu’à l’instar de Vasari, Sodoma ne s’autocaricature et n’insiste sur son caractère farfelu en se représentant ainsi…
  • Quoiqu’il en soit, pour que le bestiaire soit tout à fait complet, mentionnons les maquereaux dans les assiettes des Bénédictins !

 ***

Conclusion : 

L’approche de l’œuvre par les détails est amusante et moins stérile que la critique négative : en effet, une fois que l’on a dit que Sodoma manque d’ampleur décorative, de spontanéité et de force chromatique, qu’il y a une certaine fadeur et une certaine lourdeur dans ses compositions, on n’a sans doute éveillé ni la curiosité ni le désir de découvrir ce peintre secondaire; alors que lorsqu’on a cerné sa sensibilité d’amateur de garçons, d’animaux et de paysages, on comprend mieux son succès intemporel et l’on est tenté de reprendre « la route des fresques ! »

VOUS POUVEZ VOIR LE FILM ICI :

http://www.dailymotion.com/video/x1vg3ea

Une Réponse à “il Sodoma”

  1. Cevenole dit :

    Jamais un tableau ne m’a bouleversée autant que la mort du Christ il y a dans le visage un mélange de detresse et de volupté extraordinaire

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