Pontormo

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Si d’aventure vous êtes à Florence, au sud de l’Arno, entre le Ponte Vecchio et le Palazzo Pitti, poussez donc la porte de l’église Santa Felicita !  Un choc esthétique vous y attend, connu, il y a un siècle, par un historien d’art américain, Frederick Mortimer CLAPP, qui sortit du «purgatoire des peintres» Jacopo CARUCCI, plus connu sous le nom de PONTORMO.

Né en 1494, mort en 1557, Pontormo est contemporain d’une des périodes les plus troublées de l’Histoire italienne: le Cinquecento ; période d’instabilité politique et religieuse liée aux invasions françaises (les guerres d’Italie), à la domination espagnole (Habsbourg), à l’effondrement du pouvoir papal consécutif au sac de Rome (1527), au siège de Florence (1529-30) et à la lutte contre les idées de Luther.

 Ces «fureurs humaines» ont ébranlé l’idéal humaniste de la Renaissance et ont généré un nouveau style, -en rupture avec le Classicisme et l’Harmonie universelle qu’il présuppose-, un style de crise : le Maniérisme, qui n’imite plus la Nature ni les Anciens mais quelques grands Maîtres (Leonard, Michel-Ange, Raphaël et Durër) et qui exalte l’artifice, l’étrange et le contrepoint; la distorsion, le raffinement et la force de l’expression.

 Par excellence, l’art de Pontormo traduit ces vicissitudes et fonde la « Bella Maniera » ; il se caractérise par un anticlassicisme, un antinaturalisme, un jeu artistique de l’emprunt et un renouveau du portrait.

 ***

 Dès les premières œuvres, dès Véronique et le saint suaire, fresque peinte en 1515, le manifeste anti-classique se met en place :

  • ni décor, ni perspective: la sainte est archaïquement posée devant un dais tenu par des putti (si bien que la leçon de Masaccio semble volontairement prise à contrepied) ;
  • ni équilibre ni sérénité : les bras dévoilant le suaire sont saisis dans un mouvement de torsion assez dramatique et la vigueur du torse est en contradiction avec la grâce quasi aérienne de la jambe gauche, reposant à peine sur un orteil ;
  • l’ambiguité fait son entrée avec un portrait de la sainte plus masculin que féminin.

L’Histoire de Joseph (1517) marque un retour au gothique, niant les apports renaissants :

  • la réalité spatio-temporelle est perturbée ; ni les bâtiments, ni les vêtements n’évoquent une scène biblique en Égypte ;
  • l’espace est difficilement mesurable (où est la perspective ?), l’escalier est plus qu’improbable bien que parcouru et, à l’opposé des idéaux classiques, les échelles ne sont pas respectées (l’homme-statue, érigé à l’arrière-plan, a la même taille que Joseph, faisant l’ascension des marches, au centre du tableau.)
  • les personnages ne sont plus individualisés mais regroupés en grappe.
  • l’anti-naturalisme fait son entrée avec les statues animées (l’homme au bras levé et le putto sont purement décoratifs, dressés sur un étrange socle, une colonne, support d’une étrange attitude.)

Le retable Pucci (1518) est à lui seul un manifeste maniériste :

  • il représente une Conversation sacrée, mais nous sommes aux antipodes de celle de Piero (fondée sur la perspective et l’harmonie tout intérieure des personnages) ;
  • ici l’étrange est introduit par la répétition des figures, qui crée une illusion plus qu’une vision de la réalité ;
  • ici l’atmosphère est inquiétante : à l’innocence souriante des enfants s’oppose les mines sombres des vieillards, conscients de l’échec de la République
  • et le climat est dramatique : la gestuelle en tous sens des personnages indique des directions multiples qui perturbent non seulement la lecture théologique du tableau mais qui reflètent probablement le chaos politique ambiant: jugez plutôt, entre 1494 (naissance de Pontormo) et 1520, Florence connut successivement la chute des Médicis (Pierre II l’infortuné) et la théocratie de Savonarole (1492-98), l’instauration provisoire de la République (1498-1512) et la restauration, tout aussi provisoire, des Médicis (Alexandre) !

Pontormo s’avère donc un grand interprète de ces temps de crise et il invente une nouvelle grammaire du portrait pour traduire le trouble des esprits.

Sa galerie de portraits est en effet très inhabituelle, très éloignée des représentations classiques :

  • d’abord, elle est anonyme : ni mention d’état civil, ni emblème ne permettent d’identifier les personnages, pas même Alexandre de Médicis ; nous sommes en présence d’une dame au petit chien, d’un hallebardier, d’un giovanotto, d’un musicien, de deux amis, etc. …
  • ensuite, elle est faite de visages intenses et lumineux mais plus déconcertants que rassurants ; tous ont quelque chose de mystérieux et d’inquiétant ;
  • enfin tous, très introvertis et très dignes à la fois, font davantage penser à des masques jetés sur des consciences douloureuses, à des acteurs shakespeariens, qu’aux fiers individus peints par Piero ou Masaccio.

Quand la réalité devient à ce point insoutenable, l’imagination se venge, en creusant la distance par rapport au vrai; l’Art pour l’Art triomphe en inventant des grâces contre-nature. Et cela donne les œuvres maîtresses, l’Annonciation (1527), la Déposition (1527), la Visitation (1528), qui baignent dans un climat onirique.

Pénétrons donc dans la chapelle Capponi de l’église Santa Felicita !

  • L’Annonciation, peinte à fresque de 1527, étonne et séduit à la fois par l’animation de la composition : les deux personnages sont saisis en plein mouvement : la Vierge est littéralement surprise dans sa montée des marches ; les yeux écarquillés, elle se retourne ; quant à l’ange Gabriel, il vole encore, dans un décor de nuages ! Jamais on n’avait peint ce lieu commun de la peinture occidentale avec autant d’enthousiasme et d’audace ; et Pontormo choisit de surcroît un angle très insolite pour montrer le visage de Gabriel, (en contre-plongée, de dos et de ¾), et des couleurs d’une acidité inouïe (orangé, émeraude, violet). On assiste au renouvellement du vocabulaire pictural.
  • Réalisée la même année (année du sac de Rome par Charles Quint 1527), La Déposition est un chef d’œuvre d’artifice, d’exagération et de paradoxes : ni croix, ni échelle ; c’est un tableau d’autel dont le sujet n’est pas celui qu’on croit: à y regarder de près, il s’agit moins d’une déposition que d’une piéta ; le Christ est déjà mort ; le vrai protagoniste est Marie et le sujet n’est autre que la douleur incomparable d’une mère: son geste de la main droite atteste qu’elle est sur le point de s’évanouir après la dernière étreinte ; le pathétique est à son comble ; le corps du fils glisse des cuisses exagérément allongées de la mère ; un beau corps, lourd, mais paradoxalement retenu par deux danseurs sur les pointes ! deux anges, probablement, insensibles à la pesanteur. Ni décor ni repère spatial : une dizaine de personnages se superposent comme par miracle, ils flottent plus qu’ils ne reposent sur le sol, comme portés par le rythme de danse induit par les porteurs, un rythme giratoire et ascensionnel (préfigurant la Résurrection…) ; l’apesanteur triomphe ainsi que l’irréel, ici le deuil se porte en couleurs acides et claires. Hormis le Christ et Marie, on identifie Marie-Madeleine, de dos et en cheveux, et le peintre à droite, qui signe par cet autoportrait « la  nuovo maniera » ; les autres personnages restent anonymes, sans auréole, ni attribut; ils n’ont pour eux que leur singulière beauté et une séduction tout androgyne. Tout est fait pour susciter pitié et piété. C’est un acte de foi envers Marie, bien dans l’esprit de la Contre-Réforme, mais c’est aussi une citation de la Pieta de Michel-Ange, bien dans l’esprit imitateur du Maniérisme (notons d’autres emprunts au maître: Noli me tangere et Vénus et cupidon ont été réalisés d’après des dessins de Michel-Ange, et que dire de la palette de couleurs qui rappelle furieusement le plafond de la Sixtine!)
  • Outre ces deux chefs-d’œuvre, la chapelle Capponi est ornée de pendentifs peints, représentant le quatre évangélistes ; trois sont de Pontormo, Luc, Jean et Mathieu ; leur corps surgit du cadre, s’impose dans des positions contorsionnées (qui rappelle le saint Jérome) et leurs yeux écarquillés expriment une méditation emprunte de mélancolie.
  • La Visitation peinte en 1528, poursuit le jeu des emprunts : sa composition en losange n’est autre qu’une citation des Quatre Sorcières, gravées par Durër ; elle traduit un goût pour les figures dynamiques qui tournent sur elles-mêmes, comme des flammes (un gros plan sur les pieds suffit à mettre en évidence la ronde de ces femmes) ; et puis, il semble que Pontormo ait exagéré le mouvement par la probable répétition des figures : n’a-t-il pas représenté deux fois Marie et Elisabeth, de face et de profil, pour montrer qu’il sait bien dessiner mais surtout pour créer une illusion d’optique et nous faire douter du réel ? Enfin, la Visitation marque un déclin de la description urbaine (encore triomphante chez Masaccio) ; l’espace représente grossièrement une rue de Florence mais les échelles sont volontairement brisées : les deux silhouettes masculines sont hors de proportion avec les monumentales figures féminines. Telle est la paradoxale signature de l’antinaturalisme.

Non content de traduire le trouble des esprits et d’imposer une grâce presque inhumaine, loin de la représentation idéale du corps humain, Pontormo laisse aller sa fantaisie décorative à la villa médicéenne de Poggio a Caiano, proche de Prato, en Toscane. Il reprend avec bonheur le sujet mythologique de Vertumne et Pomone, et sa lunette évoque la vie des champs, avec une suite de figures rustiques ; mais elle frappe par l’élégance des arabesques, les belles harmonies chromatiques, le beau dessin des attitudes compliquées et des nus.

                                                                                           Paris janvier  2012

VOUS POUVEZ VOIR LE FILM ICI :

http://www.dailymotion.com/video/x1vewe9

Une Réponse à “Pontormo”

  1. BURGAU dit :

    Votre exposé et la vidéo qui l’accompagne sont un joyau pour transmettre à nos têtes blondes la nécessité de l’art, la beauté intemporelle. Grand merci pour votre don de partager sur internet.

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