Fra Angelico, un nouvel art de raconter

Messager de la parole christique, le moine dominicain Fra Angelico prie en peignant.

Ses supérieurs ne s’y sont pas trompés ; considérant l’Art comme un moyen efficace de transmettre la foi, ils ont encouragé sa carrière d’artiste.

Une carrière à succès, auprès des laïcs comme des religieux, car l’Angelico, est un homme de son temps, dont la sensibilité résolument moderne rénove la transmission du message évangélique.

Quelles sont ses innovations ?

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1. La syntaxe visuelle :

D’abord il forge ce qu’on pourrait appeler une syntaxe visuelle qui libère le récit de l’archaïsme de la juxtaposition.

• Cette introduction d’une grammaire picturale est particulièrement visible dans Le Retable du Prado, peint à la fin des années 1420. C’est un tableau d’autel avec prédelle dont le panneau central raconte un cycle, celui de la Damnation et de la Rédemption du genre humain au moyen de deux scènes complémentaires : à gauche, l’expulsion d’Adam et Eve d’un luxurieux jardin d’Eden et, à droite, sous une magnifique loggia, l’Annonce faite à Marie.

• Un épisode biblique côtoie donc un épisode du Nouveau Testament, mais cela se fait sans heurt car ils sont coordonnés : liés par rayon d’or de la parole divine qui traverse les deux épisodes et surtout par le médaillon en trompe-l’œil, au centre du portique, représentant le prophète Isaïe (qui, dès le VII° siècle avant l’ère chrétienne, aurait annoncé la venue immaculée d’un Messie).

• Ainsi, le message imagé devient clair, il introduit une logique dans l’apparente contradiction du discours chrétien et l’on comprend que le péché originel sera pardonné !

• Tandis que dans l’Annonciation de Cortone (1433), qui représente pourtant les mêmes scènes, le message est moins serein: une barrière vient matérialiser l’existence de deux mondes apparemment cloisonnés : le Pur et l’Impur.

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II. Les techniques d’unification du récit :

Fra Angelico use aussi d’un espace unique et d’une composition symétrique pour unifier des scènes séparées dans le temps; son récit pictural gagne ainsi en cohérence et en souplesse. Voyez plutôt l’Histoire de Saint Nicolas qu’illustre la prédelle du triptyque de Pérouse.

• De gauche à droite, une pelouse printanière envahit ruelles et place d’une ville nouvelle, si bien qu’à première vue il pourrait s’agir d’une scène de genre dans la Florence du Quattrocento, dont les maisons seraient grand ouvertes sur l’extérieur, théâtres d’une naissance et du repos de trois blondes sous l’œil plus ou moins vigilant d’un père; mais l’auréole qui nimbe la tête d’un enfant, d’un adolescent et d’un adulte met sur la voie d’une hagiographie.
• En effet, trois épisodes de la vie de Nicolas sont réunis sur ce petit panneau : son prodige de nouveau-né, debout dès son premier bain, sous les yeux écarquillés de la parturiente et de la nourrice; la naissance de sa vocation à l’écoute d’un prêche en plein air et l’aumône qui fonde sa légende de Père Noël, il dote discrètement les jeunes filles pauvres endormies, vouées par leur père à la prostitution.

• Ce procédé pictural crée habilement des transitions dans le récit et il réalise de surcroît, les noces de la spiritualité et du réalisme, mettant la foi à la portée de tous.

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III. Le statut du narrateur :

• Enfin, l’Angelico se place volontiers du point de vue du narrateur omniscient et il opte pour le récit par extrapolation. C’est une malicieuse technique narrative, susceptible de répandre la ferveur du moine artiste; grâce à elle, il donne à voir les chapitres les plus sadiques de l’Histoire de la Religion sous l’angle du rachat et les scènes de martyre les plus abominables deviennent alors tolérables ; on finit par les regarder avec la sérénité ou les «lunettes roses» du croyant !

• Considérons, par exemple, la prédelle du Retable d’Annalena (1437-40), soit six panneaux dispersés dans les grands musées du monde, qui illustrent les vies de Côme et Damien (La Guérison de Palladia ; Côme et Damien devant Lysias ; Côme et Damien sauvés des eaux ; Côme et Damien condamnés au bûcher ; Côme et Damien crucifiés et lapidés ;  Côme et Damien décapités.)
• Médecins et chirurgiens prodigieux, ils ont été victimes, avec trois de leurs frères, des persécutions de Dioclétien, mais ils sont restés fidèles à leur foi malgré torture, crucifixion, lapidation et enfin décapitation ; ils ont donc été sanctifiés. Le peintre considère la légende du point de vue de ce dénouement beat et ce mode de narration apparente une histoire tragique à un conte pour enfant !

• La scène de décapitation, conservée au Louvre, ne suscite en effet aucun effroi malgré la présence d’un bourreau en action, de mares de sang, de troncs plus ou moins affaissés et de têtes roulant au sol ! Pourquoi ce paradoxe ?
• Eh, bien ! l’on reste impassible parce que la composition attire le regard sur le décor au détriment des cinq décollations. La lumière frappe de plein fouet les remparts de la ville, que l’on devine être Florence; elle sculpte l’aspect filiforme des arbres, permettant à l’œil de s’égarer au-delà, dans la paisible campagne toscane, et elle fait scintiller le champ piqué de fleurs où ont lieu les exécutions. Bref, l’éclairage détourne de l’essentiel.

• L’art du peintre s’avère non seulement lénifiant mais encore manipulateur et le spectateur s’aperçoit que, non content de prier, l’Angelico prêche en peignant !

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Sa peinture, vouée à la transmission du message évangélique, est donc l’une des plus spirituelles qui soit, mais elle est fondée sur une technique narrative révolutionnaire, qui libère le récit des conventions du Gothique International et qui met de l’humanité dans un monde plein de douleur.

Bien entendu, elle incorpore aussi, toutes les innovations de la jeune Renaissance (perspective mathématique, introduction de l’architecture et du paysage, curiosité grandissante pour les sentiments humains) Aussi il n’est pas rare que les prédelles de l’Angelico, plus que ses retables, fassent penser à Paolo Uccello ou à Masaccio; mais tout cela a déjà fait couler beaucoup d’encre…

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VOUS POUVEZ VOIR LE FILM ICI :

http://www.dailymotion.com/video/x1vfexl

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