Gerhard Richter : Que peut l’Art face à l’Histoire ? (français et anglais)

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En 1984, soit en pleine ascension artistique, Gerhard Richter met en garde Critiques, Collectionneurs et Historiens d’Art : « Mes tableaux sont sans objet ; ils n’ont ni contenu, ni signification. »

Son avertissement fait impérieusement écho à celui que Gérard de Nerval adressait à Alexandre Dumas : « Mes sonnets ne sont guère plus obscurs que la Métaphysique de Hegel ou les Mémorables de Swedenborg et perdraient de leur charme à être expliqués,  si la chose était possible. » 

L’un et l’autre insistent ainsi sur l’ambiguité qui est au cœur de leur travail plastique ou poétique ; mais de même que la persévérance parvient à expliquer les Chimères, de même un certain regard permet de tirer un fil dans la création polymorphe du peintre et de saisir la pensée qui la sous-tend : une pensée obnubilée par le Temps en général et par l’Histoire -collective ou individuelle- en particulier.

Rappelons, en effet, que l’homme a connu bien des vicissitudes : né à Dresde en 1932, un oncle dans la Wehrmacht et une tante schizophrène exterminée par celui qui allait devenir son beau-père, Gerhard Richter a survécu au Nazisme et aux bombardements de sa ville natale ; adolescent dans un pays ruiné et divisé, il entre jeune au PC de RDA (1950), comme naguère son père avait adhéré au parti nazi ; étudiant aux Beaux Arts en pleine vague de Réalisme Socialiste, il est tenté par l’aventure de l’Abstraction et passe à l’Ouest en 1961, un an avant la construction du Rideau de Fer ; enfin, artiste à succès et professeur partagé entre l’Allemagne et l’Amérique, il monte dans un avion en partance pour New York le matin du 11 septembre 2001… Une vie chahutée par le Hasard et l’Histoire.

Ainsi, à chaque étape de son travail (minimaliste, photographique, hyperréaliste ou abstrait), Richter, qui ne sait rien faire d’autre que peindre, semble se demander : Que peut l’Art par rapport au destin personnel, aux totalitarismes, au terrorisme des années de plomb ou de l’après 11 septembre 

En attendant la rétrospective parisienne de l’été prochain (du 03/06 au 17/09/2012), voyons donc quelles sont les traductions  visuelles de cette quête.

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  1. S’inscrire dans une lignée :

À l’Institut d’Art contemporain de Villeurbanne, on découvre qu’elle peut prendre la forme d’un surprenant objet, intitulé Übersicht ou Vue d’ensemble (1998).

A priori et à distance, l’œuvre est déroutante, bien difficile à identifier : est-ce un document informatique, une carte de géographie ?

De près, on réalise que Richter donne à voir sa version personnelle de l’Histoire de l’Art ; mais il le fait, on ne peut plus sèchement, au moyen d’un tableau synoptique assisté par ordinateur : une énumération de peintres, architectes, poètes et musiciens est mise en regard de dates s’égrainant de 1300 à 1950. Son propre nom figure en bonne place car Richter se sent héritier et redevable de la grande tradition culturelle occidentale.

En effet, pour novatrice qu’elle soit, son œuvre s’inscrit dans une impressionnante lignée : ne peint-il pas une Annonciation d’après Le Titien, après avoir participé à la Biennale de Venise, en 1972 ;  n’use-t-il pas du projecteur comme Vermeer usait de la camera obscura, pour jouer avec la lumière et donner un teint de porcelaine à ses modèles ; ne partage-t-il pas avec Philippe de Champaigne un goût pour les vanités minimalistes, (simple bougie vacillante ou crâne génialement renversé) ; avec David Caspar Friedrich pour les personnages vus de dos ; avec Monet pour le jeu des apparences et des reflets ; avec Pollock pour le geste aléatoire mais créatif, avec Duchamp ou Warhol pour la photographie…?

Ainsi, tandis que Vidéos et Installations occupent progressivement l’espace créatif contemporain, Richter refuse la probable disparition de la Peinture et ne cède qu’à son envie de la régénérer en renouvelant les images.

Alors, il invente la peinture photographique et le flou, qui renouvellent Portraits, Natures Mortes et Paysages, et il entame avec le hasard une fructueuse collaboration, qui donne les grands formats abstraits, si séduisants.

 

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2. Peinture ou Photographie ? :


Richter n’a de cesse d’enrichir son Atlas, imposant recueil de clichés de presse, de famille, d’amateurs etc., qui constitue non seulement un objet artistique en soi, volontiers exposé, mais aussi une des sources de son travail pictural, car il emprunte à la photographie le noir et blanc, le gros plan et le flou, et il essaie diverses expériences de fusion des deux genres :

-tantôt il peint d’après photos au moyen d’une image rétroprojetée (qu’il s’agisse des chasseurs et bombardiers de l’Alliance Atlantique, de la Fraction Armée Rouge ou Bande à Baader, des attentats contre le World Trade Center),

-tantôt il peint comme on photographie en créant l’illusion de la réalité (par exemple sa fille Betty, portraiturée de face et en gros plan en 1977),

-et tantôt il peint sur photos avec l’ambition de créer l’illusion d’un mouvement ; pour ce faire, il brosse l’image, en floute les contours et semble ne vouloir garder qu’une trace de l’insaisissable réel, (ainsi, un souvenir du visage de Betty au sortir de l’enfance ou du corps de Sabine, la troisième épouse, au sortir du bain.)

Ces techniques, créatrices d’objets hybrides, rendent les images plus agréables à regarder (notamment celles de la guerre et des attentats, souvent insoutenables sous la  forme de spectaculaires photos de presse) ; mais, par dessus tout, elles montrent combien il est artificieux de chercher à représenter la réalité dans sa complexité et combien il est faux de chercher à comparer un tableau à cette même réalité.

Quand on est à ce point conscient des limites de la figuration, on peut sans se contredire passer à l’abstraction et chercher à traduire l’invisible.

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3. L’Abstraction selon Richter :

Et cela donne la part sublime de l’œuvre de Richter, faite de textures étonnantes et de couleurs modulées comme jamais.

Comment y parvient-il ?

Il suffit de le voir à l’œuvre pour comprendre qu’il choisit format, couleurs et épaisseur des couches, sens et puissance du geste, puis que le hasard fait le reste.

En effet, Richter travaille par strates de couleurs, primaires et complémentaires, qu’il étale avec différentes spatules, qu’il  lisse en tous sens et écrase jusqu’à l’obtention d’une image imprévue, souvent proche d’un miroitement sur l’eau.

Cette part abstraite de l’œuvre interroge la nature-même de la peinture. Ainsi à de rares exceptions près, tous les tableaux portent le même titre, Abstraktes Bild ou Toile abstraite, et chacun est à lui-même sa propre fin !

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Conclusion :

Artiste inclassable, Gerhard Richter interroge donc simultanément les moments traumatisants de l’Histoire et la nature des images susceptibles de restituer ces chocs émotionnels; et il a su créer une ambiguité visuelle qui représente l’ambiguité essentielle de toute Histoire et de toute Autobiographie (l’une comme l’autre plus subjective qu’objective).

Son œuvre s’avère donc moins disparate qu’il n’y paraît de prime abord et l’on comprend mieux pourquoi l’artiste exige des Commissaires d’exposition l’accrochage concomitant des toiles figuratives et des abstraites.

                                                                  Paris avril 2012

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VOUS POUVEZ VOIR LE FILM ICI :

http://www.dailymotion.com/video/x1usi2x

In 1984, while in full artistic ascent, G. Richter warns critics, collectors and art historians :  » My paintings have no content or meaning. »

His warning reminds one Nerval addressed Alexandre Dumas :  » my sonnets are as obscure as the Metaphysics of Hegel or the Memorables of Swedenborg, and they lose their charm to be explained, if it were possible. »

The both insist on the ambiguity of their plastic and poetic work. The perseverance can explain les Chimères and a certain look is able to understand the Richter’s polymorphic creation, subtended by a reflection upon the Time in general and History in particular.

Recall that the man has seen many vicissitudes : born in Dresden in 1932, an uncle in the Wehrmacht and a schizophrenic aunt exterminated, Richter survived Nazism and bombings of his hometown; teenager in a ruined and divided country, he joined the Communist Party of East Germany in 1950 ; student at the Fine-Arts in full wave of socialist realism, he is tempted by abstraction and passed to the West in 1961, a year before the construction of the « the Iron Curtain »; finally, successful artist and professor in Germany and the United States, he boarded a flight to New York on the morning of September 11, 2001 ! A turbulent life…

Therefore, at every stage of his work (minimalist photographic, hyper realistic or abstract), he asks: « What can art relative to personal destiny, to totalitarianism, to terrorism ?

Let us see what are the visual translations of this quest.

At the Contemporary Art Institute of Villeurbanne, it may take the form of a surprising object, entitled Ubersicht or Overview (1998). A priori, by far, the work is confusing, difficult to identifie : is it an electronic document, a geographical map ? Closely, we understand that we are In front of a very personal history of art ; an history of art in the form of  synoptic table, computer-assisted ; where names of artists, architects and poets correspond to dates from 1300 to 1950, the Richter’s name figures prominently because he is aware of belonging to the great Western cultural tradition. He paints an Annunciation after Titian, he uses the projector as Vermeer used the « camera obscura » to direct the light and to give a porcelain complexion to his models, he shares with Philippe de Champaigne taste for minimalist vanities (candle turned on or skull overturned with genius) ; like Caspar David Friedrich, he loves the characters seen from behind, like Monet, he likes the play of reflections, like Pollock, he loves the randomness gesture ; as Duchamp and Warhol, he loves photographie. 

Richter refuses the probable disappearance of the painting in front the rise of video and installations and is working to renew the images. He inventes the photographic painting and blurring to renew the portrait, still life and landscapes, he collaborates with the random to renew abstract.

Richter continually adding to his Atlas, impressive collection of press photos, family or lovers who is willingly exposed but is also one of the sources of his pictorial work.

He borrows from the photograph black and white, close-up and blurring : he tries different experiments to fusion two arts :

sometimes he paints from photographs, sometimes he paints as one photographes, sometimes he paints on photos ; these techniques are creating hybrid objects and make the images of violence (war, terrorist attacks) easier to watch than the documentary photographs; but mostly these experiments show how it is futile to try to represent reality, how painting and reality are different.

Aware of the limits of representation, Richter can switch to Abstraction and try to translate the invisible.

This gives the sublime part of the work done with amazing textures and colors like never modulated. How does it do this ? He chooses the format, the color, the thickness of layers, the direction of the gesture, and randomness does the rest: Indeed, Richter works by layers of primary and secondary colors, that spreads with several spatulas, that smoothes in all directions and crushes until an unexpected image, often close to a shimmer of water. This work questions the essence of painting, and most of the paintings have the same name Abstraktes Bild or « abstract painting », and have no meaning.

Unclassifiable artist, Richter simultaneously queries the traumatic moments in History and nature images that account for the violence of emotional shock. He invented a visual ambiguity which corresponds to the ambiguity of History and Autobiography, more subjective than objective.

His work is less disparate than it seems and we understand why it requires exhibition commissioners an hooking side by side figurative paintings and abstract paintings.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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