Egon Schiele : Le Moi, l’Eros et la Mort (une poésie expressionniste)

Egon_Schiele_ Autoportrait

Météore de la vie artistique viennoise, Egon Schiele est parvenu, en douze ans d’activité, à laisser une œuvre forte, prolifique et très personnelle, dont le succès (d’estime ou de scandale) ne s’est pas démenti depuis un siècle (la vente d’un paysage urbain, en juin 2011, a battu des records).

Animée par l’énergie et l’extravagance de la jeunesse, les élans vitaux et une irrésistible curiosité pour le corps et le sexe, son œuvre est aussi marquée par une conscience adolescente, partagée entre la hâte de grandir (que traduit le fantasme de fonder une famille) et une hantise de la mort, que le décès prématuré du père, victime de syphilis, conjuguera à jamais avec le plaisir sexuel.

Il importera donc à ce Rimbaud de la peinture (décédé à 28 ans de la grippe espagnole) d’exprimer les tourments de sa vie intérieure, liés à la prise de conscience de la vulnérabilité de la condition humaine. Quelle que soit la technique (aquarelle, gouache, pastel, crayon/papier ou huile /toile) et quel que soit le motif (portrait, nu, arbre ou ville), Egon Schiele n’a, en effet, qu’un sujet : la tension que fait naître en lui l’affrontement entre pulsions de Vie et de Mort.

À son service, un « crayon » rapide et nerveux, des compositions dépouillées et volontiers envisagées en vision plongeante ; mais reconnaissons que ces moyens sont aussi connus que les images érotiques et narcissiques de son mal de vivre ; alors, tournons notre regard vers les métaphores végétales et urbaines, plus rarement étudiées.

 

Egon Schiele
Album : Egon Schiele

9 images
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  1. Autoportrait végétal :

 

Un rapide diaporama des arbres et tournesols suffit pour comprendre qu’Egon Schiele n’est ni un Réaliste ni un Figuratif, au sens strict du terme ! il ne peint pas sur le motif, il ne décrit pas mais crée un monde, différent du monde réel. Pour lui, plus que pour quiconque,« un paysage est un état d’âme »sur lequel il transpose sa propre névrose, réalisant ainsi une authentique image poétique (soitun transport de sens, traduction littérale de μεταφορά).

Tous ses végétaux, en effet, sont jeunes, frêles et mal enracinés au point d’avoir besoin de tuteurs et de s’apparenter au corps anorexique du peintre, dont les bras soutiennent la tête, douloureux siège de l’angoisse existentielle ; et tous disent la difficulté de croître et de se tenir debout, au sens propre comme au figuré.

Tous sont si dépouillés ou sur le point de l’être, en proie au vent, au froid ou aux crépuscules des mortes saisons, qu’ils transmettent le même sentiment de vulnérabilité que les nus, arides terrains d’affrontement entre Eros et Thanatos.

Leurs troncs et leurs branches sont distordus au point d’exprimer la souffrance avec la même vigueur que les mains disloquées, et la même expressivité que les visages grimaçants.

Enfin, ils se détachent sur un fond toujours irréel, souvent terne, et transmettent une écrasante sensation de mélancolie. Symboles de fécondité et de flétrissure, les végétaux sont, à l’instar des humains, soumis aux cycles naturels ; la Mort rode sous leur écorce comme elle rode sous la peau et les tourments de la nature donnent à voir ceux de l’homme.

***

 II. Autoportrait urbain :

De même qu’il se sent aussi nu et vulnérable qu’un petit arbre d’automne, Egon Schiele se sent aussi mort-vivant qu’une ville de sa composition.

Une ville toujours provinciale, tragiquement vide, fluviale et dont la partie supérieure ou inférieure est occupée par une eau, qui fait planer la menace d’une catastrophe naturelle.

Une ville, appréhendée en vision plongeante, sans autres traces de présence humaine que du linge ou des barques, dont le tissu urbain est si serré qu’il dit l’asphyxiante difficulté d’y vivre, et dont les maisons, aux murs obliques par rapport à l’horizon, semblent bruire de rumeur et grimacer. (Vienne 1900, lieu de naissance de la Psychanalyse, était hypocrite et refoulée, alors quelle devait être l’ambiance dans les petites villes de Province, Stein ou Krumau, où le peintre s’établit momentanément, fut victime de calomnie et incarcéré pour obscénité ?…)

Enfin, une ville aux lignes courbes, comme prise dans un vortex, qui donne une idée du gouffre intérieur dans lequel la conscience de notre hypersensible est aspirée.

***

Il est donc juste de dire que les paysages, naturels ou urbains, ne sont pas peints pour eux-mêmes, mais sont des moyens d’expression du Moi et de l’Eros, des métaphores du mal être existentiel, des procédés d’introspection.

 Et il n’est pas surprenant qu’ils soient dessinés avec la même force, les mêmes lignes coupantes et sures, la même sobriété et les mêmes positions incongrues que les nus ou les autoportraits.

En poète plasticien, Egon Schiele a inventé un style capable d’exprimer son ego tourmenté, sa vigoureuse libido d’adolescent angoissé et sa colère devant la précarité du vivant.

Un style expressionniste, où la couleur joue un rôle moindre que dans l’Expressionnisme allemand, mais qui ouvre la voie à l’Abstraction et qui concurrence la Poésie dans l’expression de l’indicible.

 ***

VOUS POUVEZ VOIR LE FILM ICI :

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2 Réponses à “Egon Schiele : Le Moi, l’Eros et la Mort (une poésie expressionniste)”

  1. Dominique CORTI-BA dit :

    J’aime Schiele depuis longtemps. Mais ce travail a mis des mots clairs sur mes ressentis, et je trouve l’article très très très bon !
    Merci donc

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