Portraits de lectrices

Le thème de la lectrice est un lieu commun de la peinture, souvent prétexte à représenter des corps désirables. Il connut toutefois deux âges d’or avec l’avènement d’un Humanisme féminin à la Renaissance et avec les progrès de l’éducation des filles qu’accompagne le triomphe des Lumières et de la Bourgeoisie.

Ainsi, parmi les abondants portraits de lectrices, il en est d’hors normes qui nous interpellent.

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  • Et d’abord celui d’Antonello da Messina (1476-77), conservé au palais Abatellis, qui surprend et captive à la fois par un laconisme bien mystérieux.

Antonello_da_Messina Annonciation

En dehors de tout contexte, historique ou mythologique, une jeune femme se détache sur un fond noir ; elle en train de lire un livre, posé sur un lutrin de table, et semble surprise sur sa droite par l’irruption d’une lumière inhabituelle (le mouvement de ses yeux et le geste de sa main parlent d’eux-mêmes.)

Des formes géométriques, presque abstraites, composent l’ovale de son visage et le triangle de son voile ; ni auréole ni attribut ne permettent de l’identifier si ce n’est la couleur de son vêtement, bleu marial.

Ici, l’économie de moyens est donc à son comble pour représenter Marie interrompue par l’annonce d’un ange Gabriel, immatériel et ineffable au point de rester hors-champ !

Car il s’agit bien d’une Annonciation, mais d’une Annonciation elliptique, peinte sous la forme d’un instant et non, comme à l’accoutumée, sous la forme d’un récit !

Cette audace picturale nous vaut un exceptionnel portrait de femme, frontal, à mi-corps, d’une sobriété sans pareille, qui ne semble avoir été réalisé que pour donner à voir les prouesses de la peinture à l’huile, nouvellement introduite en Italie. Héritier de van Eyck, Antonello se désintéresse de la narration comme de la psychologie (sa Vierge n’exprime en effet rien d’autre que la surprise) mais il se concentre sur la composition, les jeux de lumière, et la technique, bref sur la peinture elle-même, tel un artiste moderne. Et devant ce visage peint pour lui-même, jamais il ne vient à l’esprit qu’il puisse s’agir d’un fragment…

  • Devant la lectrice de van der Weyden (1438?), visible à la National Gallery de Londres, on serait tenté, à tort, d’éprouver le même sentiment, tant ce fragment de retable se suffit à lui-même.

Van der Weyden Marie-Madeleine lisant

Une jeune femme très racée (peau claire, pommettes saillantes et grands yeux en amande), somptueusement vêtue de vert et or, est adossée contre un meuble ; elle lit attentivement un livre dont la reliure protégée par une chemise blanche et les fermoirs métalliques indiquent qu’il s’agit d’une Bible ; elle est étonnament humanisée par le rendu de la carnation et des textures, et surtout par cet exceptionnel sens de l’intériorité, qui est la marque du maître Flamand ; en outre, sa tête légèrement penchée dans le prolongement du dos, l’inscrit dans une forme semi-circulaire qui majore l’impression d’être en face d’un portrait laïc

Mais un plan élargi dévoile une Conversation Sacrée, ayant pour cadre une riche chapelle privée, ouverte sur un paysage ; hormis la lectrice, d’autres présences humaines se devinent, identifiés grâce aux fragments de Lisbonne, Catherine d’Alexandrie, en rouge et pieds nus, et Joseph, avec canne et chapelet, complèteraient la réunion des saints autour d’une Madone.

Mais surtout, le fragment en son entier donne des indices qui permettent de dire que la lectrice, posée sur un coussin rouge, dans une belle harmonie de couleurs complémentaires, n’est autre que Marie-Madeleine : au premier plan, le pot d’albâtre contenant les onguents, avec lesquels elle a frotté les pieds du Christ ressuscité, et les mèches de cheveux dépassant de son voile, dont l’érotisme, torride pour l’époque, trahit son passé de prostituée !

Quelle que soit son « impureté », la Marie-Madeleine de van der Weyden dégage une impression de sérénité, fruit conjugué du repentir et de la lecture, ce « vice » décidément « impuni. »

  • Avec la Liseuse à sa fenêtre de Vermeer (1657), un rideau s’ouvre, bien entendu, sur le théâtre de l’intime mais surtout sur un espace pictural très singulier, fait pour tromper l’œil du spectateur, si bien que le sujet du tableau n’est pas celui qu’on croit !

Vermeer liseuse à sa fenêtre 1658 coll nationales de Dresde

Moins soucieux de faire le portrait d’une lectrice concentrée, Vermeer s’est attaché à peindre la diffusion de la lumière dans un intérieur.

Contrairement à la pratique caravagesque, l’œil ne passe pas progressivement du clair à l’obscur, mais bien d’un premier plan très sombre à un arrière plan rayonnant de clarté ; et contrairement à toute attente, l’éclairage n’est focalisée ni sur la jeune femme ni sur la lettre, mais sur le point de fuite, soit sur le mur du fond, nu, et sur le satin vert de la tenture, dépourvue de tout ornement !

Assurément, nous sommes devant une réflexion sur la peinture elle-même plutôt que devant une scène de genre ; mieux encore, nous participons à une réflexion sur la vision et sur la nature de l’image, puisque la composition de ce tableau privilégie la fenêtre, lieu où s’abolit la frontière entre le dedans et le dehors, le réel et le reflet.

  • La Lecture de Picasso (1932), à l’enchanteur graphisme, nous fait, en revanche, partager l’émotion du peintre devant son très jeune modèle, Marie-Thérèse Walter.

picasso la lecture

« Là tout est calme et beauté, silence et volupté » ; les couleurs élémentaires sont plus fraîches que vives et les contours sinueux inventent une femme-fleur aussi extraordinaire que désirable.

Liseuse endormie ou liseuse méditative, elle s’offre aux regards avec innocence et l’artiste, ébloui par tant de jeunesse et de beauté, inaugure un style tout en lignes courbes, pour représenter ses volumes sensuels : arabesques de la longue chevelure blonde et des bras fusionnant avec les accoudoirs du fauteuil ; arrondis des seins et du visage dont les deux approches (de face et de profil) se marient sans heurt ; arabesques du ventre dans lequel vient se loger le livre ouvert, faisant de la lecture une métaphore du plaisir et de la fécondité.

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Ainsi, l’iconographie de la Renaissance n’a pas hésité à faire de la femme une lectrice, donc une lettrée, et a rendu hommage au Christianisme, qui n’est pas étranger à l’essor de l’Humanisme féminin. Quant à l’iconographie laïque et moderne, elle s’est emparée exceptionnellement du thème pour questionner la nature-même de la peinture ou de la lecture. Et cela nous a valu de rares toiles mystérieuses, dont il convenait de percer le secret…

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