Venise, Pavements de la basilique Saint Marc

 Venise, sol de San Marco, polyèdre polychrome

Dès que l’on franchit le porche de la basilique Saint Marc, on se doit de regarder où l’on met les pieds ! Le sol réserve, sur un peu plus de 2.000 m2, un enchanteur recueil de poèmes euclidiens, fruit de fécondes interférences entre Géométrie, Perspective et Optique.

Souvent anonymes, parfois immédiatement identifiables (telle la mosaïque de Paolo Uccello),

polyèdre de Paulo Uccello

ces poèmes de pierre sont d’une richesse et d’une variété éblouissante : cercles, spirales, boucles, ondes, carrés, losanges et triangles font le bonheur des yeux comme de l’intellect et suscitent jusqu’à l’ivresse toute une gamme de polyèdres et de couleurs, tout un jeu de reliefs et d’illusions visuelles.

On est en droit de se demander comment on obtient cette féérie car la beauté mathématique se démontre. 

Alors n’hésitons pas à faire un peu de technique, de géométrie et de symbolique architecturale !

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I. Techniques de la mosaïque :

La mosaïque est un art décoratif, d’origine orientale, multi-séculaire, pratiqué en Mésopotamie dès 3000 avant notre ère ; produit de luxe, elle revêt murs et sols des temples, thermes et maisons patriciennes. 

Exceptionnellement solide et facilement réparable, cette parure est obtenue très simplement en déposant sur un enduit de plâtre et de sable des morceaux de pierre, d’émail ou de verre.

Rien d’étonnant donc à ce qu’on la retrouve à Venise, dès le XII° siècle, après avoir parcouru l’Orient, la Grèce et Rome avec le succès que l’on sait…

Pour manifester leur magnificence, les Doges font venir, au cours des siècles, les plus beaux marbres (de Carrare, Marmara ou Paros), les pierres les plus fines (jaspe, lazulite, albâtre, onyx ou basalte) et ils attirent les meilleurs artisans byzantins, hellènes et italiens.

Ces derniers se surpassent dans l’assemblage de panneaux différents, subtilement raccordés par des bandes de liaison, et dans l’exécution des motifs, rarement figuratifs, plus volontiers abstraits. 

Ils mettent en œuvre deux techniques, héritées de l’Antiquité, l’opus tessellatum (ou appareil martelé grossièrement, pour les figures végétales et animales) et l’opus sectile (ou appareil scié très soigneusement en forme de carré, losange, triangle ou cercle, pour les compositions géométriques.)

On assiste ainsi aux noces de la rigueur et de l’imagination, sans jamais quitter la pensée mathématique, qui triomphe de la Nature, du désordre et de l’aqua alta !

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 II. Géométries euclidiennes et Vision stéréoscopique :

Ces géométries superbement déclinées n’ont, en effet, rien d’approximatif ; j’en veux pour preuve l’une des figures les plus complexes, celle du cercle divisée en plusieurs parties égales.

cercle complexe et illusions d'optique

Issue des Éléments d’Euclide, cette broderie minérale est obtenue à partir de cercles concentriques et d’un polygone régulier, au cœur du motif, dont chaque angle sert à tracer autant de cercles décentrés. 

Équerre, règle et compas s’imposent donc pour dessiner la figure plane

Quant à la figure dans l’espace, elle est savamment créée par des jeux de couleurs contrastées, sortes d’ombres projetées, mais aussi par le respect de la distance nécessaire à la vision stéréoscopique.

Il semble, en effet, que les yeux humains voient difficilement en relief un objet très rapproché ou très éloigné, et que la bonne distance serait celle du corps : à 1,60 m environ, les deux images qui se forment sur les deux rétines seraient légèrement différentes (puisque le point d’observation de chaque œil est légèrement décalé, l’OD et l’OG étant distants de 6,50 cm) ; au moment de la fusion des deux images, le cortex visuel interprèterait ces différences et situerait l’objet dans l’espace. 

Voilà pourquoi, il est impératif de regarder à ses pieds, y compris et surtout dans un lieu consacré comme la basilique Saint Marc, où le regard aurait culturellement tendance à s’élever !

Optique et Géométrie sont donc au service de la science de la Perspective, qui fait la part belle aux polyèdres isométriques, étudiés par deux éminents représentants de la Renaissance Mathématique : Luca Pacioli (dont la Divine proportion fut édité à Venise en 1509) et Wenzel Jamnitzer, contemporain et compatriote d’Albrecht Dürer, dont la Perspective des solides réguliers parut en 1568, à Nuremberg).

Jamnitzler Polyèdres

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 III. La symbolique :

Avec tant d’intersections entre Art et Science, on pourrait considérer les sols de Saint Marc comme un théorème illustré, une pure abstraction préfigurant les toiles de Paul Klee ; ils nous éloigneraient du divin, majorant ainsi notre jouissance intellectuelle.

Mais il est juste de dire que, dans la symbolique architecturale byzantine, ils sont pensés en opposition aux mosaïques des voûtes et des coupoles : les unes figurent la Transcendance, l’Au-delà céleste, les autres l’Immanence, l’Ici-bas ; les unes sont figuratives les autres abstraites ; les unes sont en verre, or et émail les autres en pierres pondéreuses.

Au risque de décevoir les athées, ces merveilles géométriques s’inscrivent dans un programme iconographique conçu pour baliser un itinéraire de Foi…

Quoiqu’il en soit leur charme opère pleinement et, contrairement aux images célestes, aujourd’hui surannées, les images terrestres sont mathématiques comme la pensée grecque ; leur poésie est dans le Nombre, hors du Temps et donc incorruptible.

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Ainsi, les pavements de la basilique sont tout à la fois tapis de prière, échiquier du rythme et théorème euclidien.

Pour vous en convaincre, retournez à Venise, regardez où vous mettez les pieds ! et ne manquez pas le récent DVD qui accompagne la publication de Ettore Vio, Il Manto di pietra della basilica : il donne à voir une reconstitution en 3D des sols de San Marco (Cicero Editore, juillet 2012).

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VOUS POUVEZ VOIR LE FILM ICI :

http://www.dailymotion.com/video/x1vgb70

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