Boudard ou le renouveau du picaresque
la Cerise, 1972
étude littéraire
I.« Nom propre du livre » (1), le titre est ici sans mystère, explicité par l’auteur lui-même dans la préface :« la cerise (dans son acception argotique), c’est la guigne, la poisse, la malchance » (p.12).
D’emblée nous comprenons que nous sommes en présence d’un ouvrage bilingue français/argot portant sur des équipées malheureuses, des histoires de voleurs et de receleurs, de flics et de réalité carcérale.
Et pour autant, le livre ne tombe pas des mains des non-initiés car Boudard a le souci de son lectorat : il use de l’argot de telle sorte que « la vieille dame auvergnate puisse (l)e comprendre » (2), sans recourir ni au Petit Simonin illustré par l’exemple (3) ni à l’Argot sans peine : la méthode à mimile (4). Le contexte permet à lui seul d’éclairer le sens.
Jugez plutôt : « cet infernal boulot (de cambrioleur) demande des tas de qualités, seulement jusqu’au jour où l’on se fait crever… Être vif, observateur, perspicace, rusé… un peu d’esprit d’initiative, une certaine souplesse physique, beaucoup de sang-froid, et on décroche vite son C.A.P. En préparant les coups avec soin, on met neuf chances sur dix de son côté. Neuf… Reste le hic, le numéro dix! Un viceloque du truc se rétame la gueule, fatal. Stop police! » (p.259)
***
Comme à l’accoutumée, le récit est à la première personne : « ça me dérange un peu de jouer moi aussi à l’auteur du récit vécu. Expérience! (…) Je m’en sens malgré tout le droit tout autant que ce jeune homme d’excellente famille qui aima sa gouvernante hollandaise et vous en fit un chef-d’œuvre à faire frémir le prix Nobel lui-même » (p.26)
Mais il retrace l’autobiographie d’un anti-héros, marginalisé par la naissance, la nature et la maladie. Bâtard, cossard et tubard, Alphonse suit son « petit chemin de mauvais bonhomme » (p.234) dans l’aventure délinquante (années 50-60) avant de se ranger dans l’aventure littéraire.
Avec réalisme, voire avec naturalisme, il nous plonge dans « les égouts de Justice » (246) et c’est l’occasion d’écrire parmi les plus belles pages de la littérature carcérale : « La prison c’est d’abord une odeur. Quelque chose d’invraisemblable pour les olfactifs délicats. Un mélange : rat crevé, pisse de chat, moisissure, merdes diverses, pieds douteux, gaz d’éclairage en fuite, mégots froids et puis la soupe aux choux, surie quotidienne. Pour lier l’ensemble, le crésyl désinfectant de l’Administration. Il vous traque ce parfum indéfinissable. Soir de Santé, Brise des Rungis. (…) C’est aussi, je n’oublie pas, la prison, des gueules. Des tas de gueules qui sont rassemblées là en vrac comme dans l’antichambre de l’enfer. Des tronches de malédictions qui viennent de la nuit des temps! Qu’on ne croyait plus que c’était possible en plein XXème siècle, aux abords de la ville lumière! » (p.19-20)
Notes :
1. telle est la définition du titre que donnait Gertrude STEIN
2. Monsieur Alphonse raconte son histoire de France, 5ème épisode : l’édition et le cinéma, documentaire de Daniel COSTELLE, 1988,
3. Albert SIMONIN, nouveau dictionnaire de l’argot, Gallimard, 1968
4. Alphonse BOUDARD et Luc ÉTIENNE, 1970, éditions la Table ronde
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