Le couteau : de la Bible à nos jours en passant par Caravage

Caravage, le Sacrifice d'Isaac

Caravage, le Sacrifice d’Isaac

Instrument de délivrance ou de délinquance, le couteau est par essence ambivalent, lame à double tranchant.

Dès l’aube de l’humanité, il est un outil utilisé pour la chasse, la cuisine, l’artisanat, la chirurgie. Instrument de délivrance de la Nature, il ne tarde pas à entrer dans des rituels religieux et à devenir instrument sacré :

  • Dans la tradition juive, l’outil du sacrifice devient symbole d’alliance originelle entre le divin, Abraham et toute sa descendance, soit le peuple juif, et se retrouve au centre des rituels incarnant cette alliance : sacrifice d’Isaac, Pessah, circoncision.
  • Dans la tradition néotestamentaire, il est symbole de discernement et de la responsabilité, permettant de trancher entre destruction/création, vie/mort, bien/mal, vérité/mensonge.
  • Dans la tradition coranique, il est symbole de soumission à dieu (réitérée à l’Aïd et dans l’abattage halal.) Le glissement d’alliance à soumission s’explique peut-être par la substitution d’ Ismaël (ancêtre des Arabes) à Isaac (continuité du peuple élu) ?

Le passage d’outil indispensable ou sacré à instrument de délinquance (symbole de danger) ne tient pas à sa nature, mais à l’usage qui en est fait.

En Droit, cette distinction est fondamentale : un couteau devient arme par destination dès lors qu’il est utilisé pour menacer, blesser ou tuer, ou que son porteur a l’intention de s’en servir ainsi.

Cette ambivalence est au cœur de la toile de Caravage peinte vers 1603 pour le cardinal Maffeo Barberini

Elle semble illustrer l’épisode de la Genèse, 22, 9-13 : « Lorsqu’ils furent arrivés au lieu que Dieu lui avait dit, Abraham y éleva un autel, et rangea le bois. Il lia son fils Isaac, et le mit sur l’autel, par-dessus le bois.

Puis Abraham étendit la main, et prit le couteau, pour égorger son fils.

Alors l’ange de l’Éternel l’appela des cieux, et dit : Abraham ! Abraham ! Et il répondit : Me voici !

L’ange dit : N’avance pas ta main sur l’enfant, et ne lui fais rien ; car je sais maintenant que tu crains Dieu, et que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique.

Abraham leva les yeux, et vit derrière lui un bélier retenu dans un buisson par les cornes ; et Abraham alla prendre le bélier, et l’offrit en holocauste à la place de son fils. »

Mais Caravage prend des libertés avec les Écritures en matérialisant la Voix par un Ange plus humain que céleste ; ailes quasiment dissimulées, doigt accusateur, il agrippe le bras d’Abraham pour arrêter son geste, si bien que l’on quitte le domaine du surnaturel pour revenir à l’humain : une conscience incarnée interrompt un meurtre, dans une scène d’une rare violence, qui ferait presqu’oublier la dimension sacrificielle et l’obéissance à la volonté divine.

 Au service de cette violence, la composition du tableau et le jeu des mains :

  • au centre, la main du patriarche armée d’un couteau concentre toute l’intensité dramatique de la scène. Et la lame noire qui se détache sur la chair blanche du jeune Isaac constitue le véritable point focal à partir duquel s’organisent les personnages en demi-figures ;
  • à droite les victimes (Isaac, visage déformé par un cri d’angoisse, et l’agneau),
  • à gauche les autorités (Abraham et l’Ange) dont les mains sont particulièrement expressives.
  • Celles d’Abraham, dont l’une serre fermement le couteau, tandis que l’autre comprime la tête ou le cou de son fils, traduisent sa détermination.
  • Celles de l’Ange, dont l’une accuse et l’autre interrompt physiquement le geste, incarnent le discernement et matérialisent le basculement entre mort et vie.

⬇︎

Ainsi, Caravage s’éloigne-t-il des représentations strictement sacrées du sujet pour privilégier une approche intensément humaine et dramatique. Et reste-t-il fidèle à au naturalisme : non seulement, il rend palpable la terreur mais encore il fait entendre l’effroi.

Cette désacralisation témoigne de l’empathie du peintre pour ses personnages et de sa volonté de rendre la scène crédible et accessible à tous les sens du spectateur.

Laisser un commentaire

NPS_NO positioning system |
rachelpeinture |
Lilou Bollé |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | POUCHKINE
| Fan Art Manga
| REBORN-COEUR DE PITCHOUNE